Résidence alternée -Mission d’information sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle


Audition, de M. Marc Pichard, professeur des universités, Université Paris-Ouest Nanterre, spécialiste des questions de filiation et de genre en droit civil.

Extrait : 

(..) Nous pouvons déjà illustrer les conflits de logique qui peuvent exister en matière familiale à partir d'une hypothèse qui était évoquée parmi les questions que vous m'avez transmises. C'est la question de l'adaptation du droit aux familles recomposées. Au regard de l'évolution des faits et au nom de l'adaptation du droit aux faits, il peut être tentant de conférer aux beaux-parents un statut juridique spécifique, proche de celui de parent. Cette tentation de création d'un statut du beau-parent est récurrente pour répondre au phénomène social des familles recomposées. Mais cette tentation peut entrer en conflit avec la recherche de cohérence du droit, dès lors que le principe d'exercice conjoint de l'autorité parentale vise à faire survivre le couple parental au couple conjugal, à travers le principe de l'exercice en commun de l'autorité parentale, nonobstant la séparation.

Or, ce n'est pas impossible, mais il n'est pas si évident que l'on puisse en même temps garantir la place des parents auprès de l'enfant et en particulier la place du parent avec qui l'enfant ne réside pas, et conférer aux beaux-parents des fonctions s'apparentant ou relevant de l'autorité parentale.

L'argument de la cohérence et l'argument de l'adaptation ne vont pas forcément dans le même sens.

De même, si l'on ajoute la perspective de genre dans l'équation, la lecture d'un projet de création d'un statut du beau-parent au prisme du genre conduit d'abord à souligner que puisque la résidence habituelle des enfants est encore très majoritairement fixée chez la mère, le statut du beau-parent sera bien souvent un statut du beau-père. C'est une première donnée.

Ensuite, un tel projet peut être lu comme un renoncement à voir le père investir entièrement sa place de père et donc comme une illustration d'une représentation sociale genrée relative à une forme d'interchangeabilité des hommes auprès de l'enfant, dès lors qu'ils s'engagent à pourvoir aux besoins de celui-ci sur le plan éducatif notamment.

(..)

Sur l'autorité parentale, je voudrais juste présenter deux observations à partir d'une perspective de genre qui va s'asseoir essentiellement sur les pratiques sociales notamment le fait que, malgré les évolutions qui sont considérables, la résidence habituelle des enfants reste très majoritairement fixée chez la mère et de manière très exceptionnelle, chez le père seul, le reste étant bien sûr le développement des hypothèses de résidence alternée.

L'autorité parentale est principalement conçue comme un droit et pas comme une charge. Le texte dit que c'est à la fois un ensemble de droits et de devoirs mais dans la conception juridique, dans la pratique judiciaire et dans la conception sociale, l'autorité parentale est principalement conçue comme un droit et pas comme une charge, alors que la charge quotidienne des enfants est probablement la source principale d'inégalités, en particulier d'inégalités économiques, entre les hommes et les femmes.

La perspective de genre conduit à se demander s'il n'y aurait pas matière, d'abord, à repenser le vocabulaire dans lequel les questions d'autorité parentale sont posées.

Dans un cadre contentieux, par exemple, on retiendra finalement que tel parent a obtenu la résidence, comme si c'était un gain, alors que de facto, c'est aussi, et peut-être principalement, une charge pour la personne qui va devoir assumer cette résidence habituelle.

Inversement, nous allons parler de droit de visite et d'hébergement, c'est quelque chose de positif. Nous allons finalement considérer que le parent qui n'exerce pas son droit de visite et d'hébergement a renoncé à son droit, pas qu'il n'a pas rempli ses obligations en matière de visite et d'hébergement.

Cette manière de penser se traduit également sur le plan pénal, dans la mesure où, si un parent empêche l'autre d'exercer ce qui est conçu comme son droit, nous allons être en présence d'une non-représentation d'enfants alors que finalement, si un parent n'exerce pas ce qui est conçu comme son droit, il n'y aura pas de réponse de cet ordre.

Sur la question de l'autorité parentale, les règles relatives à l'autorité parentale ne visent pas au premier chef l'égalité entre les parents en termes de charge des enfants.

Quelle est la place du droit civil sur le fait que nous constations que la résidence habituelle est très majoritairement fixée chez les mères ? Est-ce que le droit y est pour quelque chose ou est-ce qu'il n'est que le reflet d'une pratique sociale qui lui serait extérieure ? Sur ce point, le principal critère juridique pour penser les questions de l'autorité parentale est la question de l'intérêt de l'enfant. Mais chacun sait que la notion est assez fuyante et que c'est un critère qui, à part dans des situations de crise, ne va pas forcément donner d'informations extrêmement précises. En revanche, nous constatons que le droit civil cherche d'abord à favoriser les accords entre les parents. En termes de pratiques sociales, on peut trouver cela extrêmement souhaitable. Seulement, nous savons que la primauté donnée aux accords entre les parents peut être investie par les conventions de genre, par les représentations genrées qui imprègnent également les parents eux-mêmes. Nous pouvons donc aussi discuter cette place laissée aux accords, au prisme du genre. Si nous prenons en considération les différents indices que le code civil donne au juge pour se prononcer en matière d'autorité parentale, nous constatons qu'il est invité à prendre en considération les expertises mais aussi les pratiques antérieures. Nous voyons en réalité comment cette prise en considération des pratiques antérieures peut être finalement une manière de faire à nouveau peser la charge des enfants sur celui des deux parents qui avait la charge des enfants, avant la séparation.

Or, que se passe-t-il ? Les données sont assez claires à cet égard, plus une femme a d'enfants, plus sa quotité de travail se réduit. Plus il y a d'enfants, plus le temps partiel se développe chez les femmes. Bizarrement, chez les pères, plus il y a d'enfants, plus la quotité de travail augmente. Il y a là une donnée qui est en soi intéressante. Dire, dans le code, qu'on va privilégier les pratiques antérieures, c'est en réalité inviter le juge, certes indirectement, mais tout de même, à dire que la solution est que celui qui s'est le plus occupé des enfants continue à s'occuper le plus des enfants. Sauf qu'entre-temps, il y a une donnée fondamentale qui a changé, c'est que par hypothèse, le couple s'est séparé et que les échanges économiques au sein du couple ont cessé. Alors que tout a changé, on va inviter le juge à faire comme si tout était pareil, alors que les données économiques à cet égard sont fondamentalement différentes.

Sur ce point, il existe des solutions et des modèles différents. Le droit belge a adopté une solution de principe qui est une solution de garde alternée, de résidence habituelle alternée, avec évidemment la possibilité de s'en abstraire et de l'exclure, mais en justifiant de cette exclusion. Une proposition de loi en ce sens a été votée au Sénat, en 2013 me semble-t-il, mais n'a finalement pas été adoptée.

(..)

Je voudrais insister sur un deuxième élément. Cela fait plusieurs fois que cette idée d'adoption d'un modèle de la résidence alternée émerge. Tous ces débats sont toujours pollués par la question des violences. Évidemment, la question des violences est fondamentale. On ne peut que se réjouir que la question des violences de genre et en particulier des violences au sein du couple ait pris une telle importance dans le débat social, et que le législateur s'en soit à ce point saisi. Il n'en demeure pas moins que, même si le phénomène des violences intra-conjugales est un phénomène quantitativement massif, je ne crois pas qu'il soit majoritaire. Il me semble qu'il est possible de penser à un droit commun qui pose ce modèle d'une égale responsabilité. Par ailleurs, il faut admettre des exceptions qu'Amélie Dionisi-Peyrusse et moi avions suggérées à la suite des textes relatifs à l'ordonnance de protection. Cela consiste à dire qu'il y a tout un ensemble de règles dans le code civil qui régissent la question des effets des violences. Même formellement, il faut dire que ce n'est pas du droit commun de l'autorité parentale, c'est un champ d'intervention et de questionnement particulier.

J'ai beaucoup travaillé sur le sujet et je suis extrêmement sensible à la question des violences au sein du couple. Néanmoins, je ne suis pas sûr que nous devions penser de manière générale les questions d'autorité parentale au regard de cette hypothèse qui existe, qui est massive, mais qui est minoritaire. Après, c'est plus délicat à formuler, l'articulation est compliquée. Je vous enverrai le texte.

Mme Nathalie Elimas, rapporteure. Concernant les violences et l'autorité parentale, il est vrai que ce sujet est au cœur de nos débats en ce moment, mais je ne crois pas, en tout cas, qu’il soit à ce stade perçu comme étant généralisable. Il s'agit bien là d'une exception, tel que c'est pensé aujourd'hui, notamment à l'issue du Grenelle. On s'interroge pour savoir si le mari violent est ou non un bon père. La réflexion est là. Vous avez évoqué la question de généraliser, mais je crois qu'il faut vraiment l'aborder uniquement sous l'angle de l'exception, dès lors que c'est vérifié.

M. Marc Pichard. Je n'ai pas mon code sur moi, à ma connaissance, ce n'est pas le cas formellement, actuellement. Je ne retrouve pas le numéro exact du texte du code civil. Dans tous les critères qui doivent guider le juge en matière d'autorité parentale, vous avez une liste qui va par exemple indiquer qu'il faudra prendre en considération les pratiques antérieures. Vous avez dans la liste les violences à l'égard de l'autre parent. C'est donc actuellement formellement construit comme un élément du droit commun. Cela conduit d'ailleurs à mon sens à un effet de minoration des violences. C'est-à-dire que cela fait partie des éléments à prendre en considération, cela fait partie d'une liste. C'est peut-être quelque chose de très universitaire, mais le mettre dans la liste nous paraissait être un choix législatif assez embarrassant. L'idée d'avoir un corps de règles spéciales au sein du code civil pour les violences, à la suite de l'ordonnance de protection, nous semblerait être un choix législatif qui dirait très clairement que le législateur se saisit de la question, mais qu'il ne s'en saisit pas comme un élément parmi d'autres pour penser l'autorité parentale.